“Honorer nos martyrs, c’est continuer à lutter contre la déshumanisation des corps africains”
Pour le Collectif Mémoire Coloniale, la lutte contre la déshumanisation des corps noirs implique la création d'un cadre légal relatif aux restes humains détenus en Belgique.
Une petite éclaircie récompense les courageux et courageuses qui ont bravé la pluie ce samedi matin. Sous l’impulsion du Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations (CMCLD), iels se sont réuni·es pour honorer la mémoire de huit Congolais·es mort·es en Belgique des suites de la violence coloniale.
Le groupe se retrouve rue Gemba, juste en face de la station de métro Simonis. En 2023, Koekelberg vote la féminisation de quatre noms de rues dans le quartier. Gemba est probablement la moins connue des personnalités sélectionnées (les soeurs Brontë, la résistante Renée Douffet et l’avocate Gisèle Halimi). Son histoire, et surtout sa mort, sont pourtant profondément liées à la Belgique. Elle fait partie des 267 Congolais·es transporté·es de force puis exposé·es dans le zoo humain de Tervuren lors de l’exposition universelle de 1897.
Aujourd’hui, Gemba et sept autres martyrs congolais·es ont une tombe à leur nom. “Ces tombes, c’est l’un des seuls endroits de commémoration digne pour les victimes de la colonisation. En parallèle, on compte environ 470 lieux qui glorifient l’entreprise coloniale dans l’espace public belge”, souligne d’emblée Aliou Baldé, membre du CMCLD.
L’espace public n’est pas un espace neutre
Le guide relève une dizaine de signes coloniaux sur le chemin emprunté par le car, direction Tervuren. Outre les boulevards, tunnel et statues de Léopold II, il épingle d’autres acteurs clé de la colonisation du Congo, dont Auguste Lambermont, chef de la délégation belge à la Conférence de Berlin en 1885, et le général Wahis, gouverneur général du Congo dès 1892.
“L’espace public n’est pas un espace neutre. Continuer à vouloir célébrer des personnes dont la participation active à l’entreprise coloniale est documentée signifie deux choses : soit on est en accord avec ce qui a été fait soit on n’en a pas honte… voire les deux”, analyse Stéphanie Ngalula, membre du CMCLD.
Les grandes constructions de l’époque, comme la basilique de Koekelberg, le Cinquantenaire et l’avenue de Tervuren sont aussi des marqueurs coloniaux. “Elles sont là pour attirer les investisseurs en leur montrant que la colonie est rentable.” Ces grands travaux s’accompagnent par ailleurs d’un hygiénisme social : les populations belges les plus précaires sont expropriées pour laisser place à des artères et des monuments destinés aux plus aisés.
Les lieux symboliques sont évidemment également concernés. En témoigne la présence de la statue “l’esclave repris par les chiens” au cœur du palais de justice de Bruxelles. Le sculpteur Louis Samain y représente un père noir avec son enfant en train d’être mangés par des chiens. “C’est un lieu où chacun·e est censé·e pouvoir obtenir justice. Or, vous recevez un message de violence dès votre arrivée. Qu’est-ce que cela implique pour les personnes noires qui viennent demander justice ?”
Depuis 2023, le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations milite pour le retrait de cette statue. Réponse de la régie des bâtiments : aucune statue ne doit être enlevée, elles font partie du patrimoine. “Le fait raciste, les descriptions racistes dans les statues, dans les noms de rues, participent sans qu’on s’en rende compte à entretenir l’idée que la colonisation a été un fait positif dans l’imaginaire collectif belge, souligne Moïse Essoh, membre du CMCLD. Ce qui découle de la colonisation est donc aussi considéré comme positif, y compris le fait de considérer les Noir·es comme inférieur·es.”
Honorer les martyrs
La pluie recommence doucement à tomber tandis que le groupe arrive au cimetière de Tervuren. Les guides s’arrêtent au milieu de l’allée centrale, devant une tombe en particulier, celle de Juste Bonaventure Langa. A tout juste huit mois, il est la plus jeune victime congolaise de la colonisation à être mort en Belgique. Alors qu’il n’est qu’un bébé, il est envoyé de force dans le plat pays pour être exposé dans le cadre de l’exposition universelle de 1958.
C’était il y a moins de septante ans.


Dix minutes plus tard, nous arrivons devant l’église Saint-Jean-l’Évangéliste. A côté du bâtiment, sept tombes. Sur chacune d’elle, un nom : Ekia, Gemba, Kitukwa, Mpeia, Zao, Samba et Mibange. Sept personnes congolaises qui ne survivent pas aux conditions indignes dans lesquelles les autorités belges les maintiennent durant l’été 1897.
Selon le discours officiel, iels sont mort·es des suites d’une pneumonie. Mais pour le Collectif Mémoire Coloniale et Lutte contre les Discriminations, c’est la maladie coloniale qui les a tué·es. “On aurait pu éviter ça mais l’objectif était de les déshumaniser. Ils et elles ont été obligé·es de se dénuder malgré les conditions météo et de mimer le sauvage pour montrer que la colonisation était une bonne chose”, explique Sanchou Kiansumba, membre du CMCLD.
Et ce sont loin d’être les seul·es. En 1894 déjà, 144 Congolais·es sont exhibé·es à Anvers dans le cadre d’une autre exposition coloniale. Au moins sept personnes meurent durant l’exposition.
La déshumanisation des corps noirs ne s’arrête par ailleurs pas à leur mort. Les Congolais·es qui perdent la vie en Belgique sont généralement enterré·es dans des fosses communes, en terre non consacrée. Leur corps ainsi souillé, impossible pour leurs proches de faire leur deuil.
Chaque année, le Collectif organise un hommage aux Congolais·es tué·es par la colonisation sur le sol belge. Les huit tombes présentes à Tervuren étant une exception, il est d’autant plus important d’honorer les personnes qui y reposent symboliquement. “Pour plusieurs cultures africaines, les morts ne sont pas morts, ils nous accompagnent dans ce monde.”
Commence ainsi le rituel de libation. Après s’être présentées aux défunt·es, certaines personnes déposent une banane ou de la canne à sucre sur leur tombe, les membres du Collectif leur versent de quoi boire - de l’eau pour Juste Bonaventure, du vin de palme pour les adultes. “Rendre hommage à nos martyrs, c’est continuer à lutter contre la déshumanisation du corps africain.”
Décoloniser, encadrer, restituer
Cette lutte constitue le cœur du travail mené depuis plus de dix ans par le Collectif. Elle implique notamment la décolonisation de notre société, de son espace public mais aussi des secteurs de l’éducation, de la santé, de l’emploi, etc.
Elle passe également par la création d’un cadre légal relatif aux restes humains détenus en Belgique. “Il y en a 35 au musée de Tervuren et plus de 400 de manière générale dans des institutions, y compris publiques, comme des universités et des musées”, précise Aliou Baldé. A l’heure actuelle, ces dépouilles peuvent être considérées comme des objets de collection et donc comme des biens commerciaux. En 2022, un hôtel de vente a par exemple tenté de mettre aux enchères trois crânes de personnes issues de l’Etat indépendant du Congo.
Plus que l’interdiction de la vente de ces dépouilles, le Collectif œuvre pour leur identification et leur restitution à la République Démocratique du Congo, au Rwanda, au Burundi et à tous les pays africains concernés. “On a besoin de votre aide pour déterminer qui sont les personnes dont les dépouilles sont détenues en Belgique et retracer ce qu’elles ont vécu.”
Un travail indispensable, dont la Belgique ne pourra pas faire l’économie. L’histoire coloniale belge ne peut en effet s’écrire au passé tant que ce processus de décolonisation n’est pas achevé.

Absoluments ignoble ! Pensée particulière au petit bebe de 8mois, quel triste et bref passage sur terre😔