GenZ212 : Le Maroc vu par sa génération Z
La colère de la jeunesse est porteuse d’espoir : celui d’un Maroc capable d’écouter et de répondre aux besoins de sa jeunesse, notamment en matière d'éducation, de santé et de liberté d'expression.
Depuis le 27 septembre, le Maroc vibre au rythme d’une contestation inédite. Dans les grandes villes — Casablanca, Rabat, Tanger, Agadir, Marrakech — des jeunes, connectés et déterminés, descendent dans les rues pour réclamer l’essentiel : santé, éducation et dignité. À l’origine de ce mouvement, le collectif GenZ212, né sur Discord et porté par une jeunesse connectée, consciente et déterminée, qui défie la peur et interpelle un pouvoir sourd à ses cris. Retour sur ces manifestations avec la journaliste marocaine Salma El Harrak.
“Pas de stades, des hôpitaux !”, “Santé avant la Coupe du monde !”, scandent les jeunes Marocains. À l’origine de cette mobilisation, une colère longtemps contenue : celle d’une génération confrontée à un système de santé défaillant, à une école publique à bout de souffle et à un chômage endémique. L’étincelle ? Le décès de huit femmes à l’hôpital Hassan-II d’Agadir, mortes en dix jours lors de leur accouchement. L’indignation s’est transformée en révolte quand le ministre de la Santé a lancé : “Si cela ne vous plaît pas, allez protester à Rabat.” Les jeunes ont pris cette phrase au mot.
Malgré les blessés, les arrestations et les morts, la jeunesse marocaine ne fléchit pas. Trois jeunes ont perdu la vie à Lqliaa, un autre a vu son pied amputé à Oujda, et de nombreux manifestants ont été frappés ou arrêtés. Ces tragédies, loin d’étouffer le mouvement, cristallisent le sentiment d’injustice et renforcent la détermination. Chaque victime devient un symbole, chaque blessure un rappel que la dignité a un prix.
Longtemps jugée apathique, la jeunesse marocaine montre aujourd’hui l’inverse. Elle maîtrise les codes numériques, s’informe, s’organise, et documente chaque scène. Sur TikTok et Instagram, les hashtags #GenZ212 et #MoroccoProtests cumulent des millions de vues. Cette génération née avec les écrans refuse de fuir son pays. “On ne veut pas partir, on veut un Maroc digne”, confie une étudiante de Fès. Leur colère n’est pas un rejet du Maroc, mais un acte d’amour envers la patrie.

La répression reste une réalité quotidienne durant ces manifestations mais elle ne parvient pas à étouffer la détermination. Les manifestants documentent chaque incident, dénoncent les excès et restent attachés au pacifisme. GenZ212 condamne toute violence et refuse la récupération par des forces extérieures, rappelant que le mouvement est entièrement autonome et citoyen.
L’ombre du Hirak du Rif plane toujours. Les jeunes savent que leurs aînés ont payé un prix lourd pour leurs revendications : peines de prison longues, stigmatisation, marginalisation. Mais au lieu de les effrayer, ces histoires les renforcent. La référence au Hirak n’est pas un simple rappel : elle est un avertissement à ceux qui voudraient minimiser le mouvement actuel. Les jeunes veulent agir, mais agir dans le cadre d’une légitimité démocratique et d’un pacifisme conscient.
Des rues aux réseaux : la naissance de GenZ212
Tout a commencé sur Discord, plateforme prisée des gamers. Là, une poignée de jeunes crée le collectif GenZ212 – référence à l’indicatif téléphonique du Maroc. En quelques jours, leur serveur passe de cent à près de 200 000 membres. Leurs mots d’ordre : pacifisme, justice, dignité.
Aucun parti, aucun syndicat. Tout se fait en ligne : organisation, communication, slogans, lieux de rassemblement décidés à la dernière minute.
Leur logo, un “GenZ” traversé d’une étoile rouge, envahit les stories et les trottoirs. Leur manifeste, adressé au roi Mohammed VI, réclame la dissolution du gouvernement et la lutte contre la corruption, citant même des articles de la Constitution pour justifier leurs demandes.
Un gouvernement silencieux et un mutisme prolongé
Face à la montée du mouvement, le gouvernement dirigé par Aziz Akhannouch s’est enfermé dans un silence qui choque. Aucun communiqué officiel, aucune déclaration publique pendant les quatre premiers jours de mobilisation : ce mutisme a été interprété comme un mépris et un aveu de déconnexion totale avec les réalités vécues par la jeunesse. “C’est un chef du gouvernement invisible, confie Amine, 25 ans, rencontré à Rabat. Il apparaît seulement pour les grands deals, jamais quand le peuple souffre.” Pendant que l’exécutif consacre des milliards de dirhams à la Coupe d’Afrique 2025 et à la Coupe du monde 2030, les jeunes dénoncent la priorité donnée à l’image du pays plutôt qu’à la vie de ses citoyens. “On veut des hôpitaux avant des stades”, résume Samir, 22 ans, de Casablanca.
Malgré ce silence et la répression, les jeunes restent déterminés. Ils documentent, partagent et se préparent à chaque nouvelle journée de mobilisation, réaffirmant leur droit à la dignité et à une vie décente. Face à cette intensité, le collectif GenZ212 a annoncé une suspension temporaire des manifestations le 7 octobre 2025, en attendant le discours royal prévu le 10 octobre, coïncidant avec la rentrée parlementaire. Pour eux, ce discours constitue une ligne de démarcation : “Nous avons parlé, maintenant c’est à eux de répondre”, peut-on lire sur leur serveur Discord officiel. Cette trêve est donc stratégique et prudente : vigilance maximale, mais préparation à reprendre le mouvement si les mesures annoncées sont insuffisantes.
La répression et la peur
Dès les premiers jours, la répression s’abat sur les manifestations dans plusieurs villes, dont Casablanca, Tanger, Meknès, Rabat, Oujda. Les forces de l’ordre dispersent les rassemblements à coups de matraques, avec des arrestations massives : plus de 400 jeunes interpellés selon des associations locales, certains relâchés le soir même, d’autres poursuivis. Des vidéos montrent des étudiants frappés, une jeune fille traînée au sol, ainsi qu’un manifestant à Oujda qui a été renversé par une voiture de police et a perdu son pied. À Lqliaa, trois jeunes sont morts par les armes de la police, alors que les sources officielles parlent d’une intervention pour repousser une tentative d’assaut contre la brigade de police, invoquant la légitime défense. Malgré cette violence et la peur qui en découle, la détermination des jeunes reste intacte : chaque jour, ils reviennent dans les rues, porteurs de leurs revendications et de leur colère pacifique.
Quatorze ans après le mouvement du 20 février 2011, les mêmes mots résonnent : liberté, justice, dignité. Mais la forme a changé. Plus horizontale, plus numérique, la mobilisation Gen Z ne cherche pas de leader. Les jeunes n’ont ni parti ni figure de proue : leurs voix circulent sur Discord, Instagram, TikTok, et dans les rues de Casablanca, Rabat, Marrakech, Agadir ou Tanger.
Leurs slogans sont simples mais frappants : “Le peuple veut la santé et l’éducation !” ; “Pas de stades sans dignité !” ; “Libérez nos prisonniers !”. Et pourtant, derrière cette simplicité, il y a une profondeur, un refus de subir et une exigence de justice sociale qui n’a jamais été aussi claire. Ces jeunes n’imitent pas leurs aînés, ils réinventent la contestation. Chaque story, chaque live, chaque vidéo devient un outil de documentation et un moyen de résister à la censure.
Malgré la violence et la peur, les jeunes ne reculent pas. Leur colère n’est pas nihiliste, elle est porteuse d’espoir : celui d’un Maroc capable d’écouter et de répondre aux besoins de sa jeunesse. “On ne veut pas fuir, on veut construire ici, mais dignement”, me confiait une étudiante de Fès, en essuyant des larmes mêlées de rage et de fierté.
Des revendications qui s’élargissent
La mobilisation initiale autour de la santé, de l’éducation et de la dignité s’est rapidement enrichie. Les jeunes demandent désormais la libération de tous les prisonniers politiques, rappelant que le Maroc ne peut prétendre à la modernité et à la justice sociale tant que certains sont détenus pour avoir exercé pacifiquement leurs droits. Les visages de Nasser Zefzafi et d’autres militants du Hirak du Rif réapparaissent sur les pancartes et les stories, symbolisant le fil rouge de cette lutte : la liberté d’expression et la fin de l’impunité.
Le collectif réclame également la dissolution du gouvernement et la réforme profonde des partis politiques impliqués dans des affaires de corruption. Chaque demande est justifiée par la Constitution, chaque mot est soigneusement pesé pour montrer que ce mouvement n’est pas anarchique mais conscient et légitime.
L’impact de la diaspora
Le mouvement ne se limite pas aux frontières nationales. À Paris, Marseille, Bruxelles et Montréal, la diaspora marocaine organise des rassemblements, reprenant les mêmes slogans et manifestant sa solidarité. Sur les réseaux sociaux, les stories et vidéos des villes marocaines se partagent instantanément à l’international, donnant à ce mouvement une portée globale. Les hashtags #GenZ212 et #MoroccoProtests atteignent des millions de vues, rendant la mobilisation impossible à ignorer, même au-delà du pays.
Dans le monde hyperconnecté de la génération Z, chaque image, chaque vidéo, chaque message circule instantanément. La mobilisation dépasse les frontières marocaines : étudiants, militants et jeunes de la diaspora reprennent les slogans, commentent, analysent et documentent la situation. La force du collectif réside dans cette horizontalité et dans cette capacité à transformer la technologie en outil de résistance citoyenne.
Une pause stratégique avant le verdict royal
La décision de suspendre temporairement les manifestations pour attendre le discours royal traduit une stratégie mûrie, et non une résignation. Cette pause symbolique est une manière de montrer que la jeunesse peut se montrer responsable, patiente et rationnelle, tout en maintenant la pression morale sur le pouvoir. Les manifestants observent chaque déclaration, chaque geste, chaque signe envoyé par les autorités. Leur patience est active : elle se nourrit d’une attention constante et d’une mobilisation intellectuelle autant que physique.
Même durant cette trêve, la tension est palpable. Les jeunes restent connectés, organisés, et attentifs à chaque signal envoyé par le gouvernement ou les institutions. Sur Discord, les messages s’enchaînent : “Rien ne doit être oublié”, “Nous ne baisserons pas la garde”, “Chaque arrestation, chaque blessure, chaque mot compte”. La pause n’est donc pas un arrêt mais une mise en attente stratégique, un souffle avant la suite.

Certains évoquent déjà la possibilité de manifestations spontanées si le discours royal ne répond pas aux attentes. La mémoire collective de cette génération est vive : elle connaît l’histoire, les répressions passées, et elle sait que la rue est parfois le seul espace où sa voix peut résonner. La force du mouvement GenZ212 réside dans cette conscience de soi et dans sa capacité à rester pacifique tout en étant inflexible sur ses principes.
Le mouvement GenZ212 est bien plus qu’une série de manifestations : c’est un manifeste vivant, une leçon de conscience sociale et politique, une démonstration que la jeunesse peut être un moteur de changement réel, même face à un silence initial des autorités et à la répression.
Le match de la dignité
Alors que le Maroc s’apprête à accueillir la Coupe d’Afrique et à planifier la Coupe du monde, ce n’est pas seulement sur les terrains que se joue un match : c’est dans les rues, sur les écrans et dans les consciences. La jeunesse marocaine, consciente, connectée et déterminée, tient aujourd’hui le véritable match de la dignité. Et ce match ne s’achèvera pas avant que la voix de tous les citoyens, même les plus jeunes, soit entendue et respectée.
GenZ212 continue de regarder, d’observer et de documenter. Chaque vidéo, chaque live, chaque pancarte est un témoin de leur courage et de leur persévérance. Ils attendent, mais ils restent prêts. La trêve est courte, le combat est long, et la jeunesse marocaine est prête à reprendre le chemin des rues si les réponses attendues ne viennent pas.
Derrière chaque slogan, chaque pancarte, chaque live Instagram, il y a un message clair : le Maroc doit écouter sa jeunesse. Les revendications ne sont pas radicales, elles sont profondément humaines. Elles concernent la santé, l’éducation, l’emploi, la dignité et la justice. Elles questionnent aussi les priorités d’un gouvernement qui consacre des milliards à des projets internationaux tout en laissant ses citoyens lutter pour leurs besoins élémentaires.
Le mouvement GenZ212 est un miroir tendu à la société et à l’État : il reflète les aspirations d’une génération connectée, consciente, et déterminée. Il rappelle que la jeunesse est la force vivante du pays, et que sa colère, si elle est ignorée, peut devenir un écho que personne ne pourra éteindre.
Le Maroc écoute, ou du moins, il devra écouter bientôt.